Le cervelas « cancérigène » – faut-il désormais interdire la charcuterie?

Voilà que le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC – IARC) a récemment catalogué comme cancérigène, partant plus dangereux même que certains produits phytosanitaires, la viande transformée, lui associant ainsi la probabilité d’un risque sanitaire.
Le 26 octobre 2015 est tombée cette mauvaise nouvelle: le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC – IARC ), qui appartient à l’Organisation mondiale de la santé, a qualifié de « probablement cancérogène » (groupe de risque 2A) la consommation de viande rouge. Les produits carnés transformés, par exemple les saucisses, ont même été placés au niveau de risque le plus élevé, celui de « cancérogène pour l’homme » (groupe 1). Rappelons que dans ce groupe figurent le tabac et l’amiante…
Au printemps 2015 déjà, le CIRC a publié une évaluation de divers produits phytosanitaires qui a fait grand bruit. Elle définit comme « probablement cancérogène » le glyphosate, produit phytosanitaire le plus abondamment utilisé en Suisse comme dans le monde entier. Bien que les autorités continuent de juger inoffensifs pour la population les résidus de glyphosate résultant de la mise en œuvre de produits phytosanitaires, les organisations de protection de l’environnement ont alors exigé l’arrêt immédiat de la « folie du glyphosate dans les champs et les jardins! ». Tant et si bien que, sous la pression, les grands distributeurs ont banni de leur assortiment les produits phytosanitaires contenant du glyphosate. L’association de consommateurs SKS et ses partenaires sont en train de récolter des signatures à l’appui d’une pétition qui, sur la base des risques sanitaires supposés du glyphosate, entend obtenir pour ce produit une interdiction d’utilisation et de vente. Cervelas et consorts risquent-ils de connaître le même sort, maintenant que le CIRC les classe dans une catégorie de risque même supérieure à celle du glyphosate?
C’est peu probable. Les consommateurs savent bien qu’une alimentation équilibrée est importante pour la santé. Et qu’il faut éviter, bien sûr, de manger trop de viande, de matières grasses et de sucre. Demain comme hier, un menu varié, éventuellement accompagné de viande rouge, fera toujours partie d’une alimentation saine. Le sens commun, ainsi que l’expérience personnelle de chacun, font douter de la nécessité de prendre immédiatement des mesures radicales suite au classement par le CIRC des produits de charcuterie au nombre des substances « cancérogènes pour l’homme ».

Le lion est dangereux, mais ne constitue pas nécessairement un risque (photo: edan/canstockphoto.com)
Régulièrement, hélas, les évaluations de risques établies par le CIRC sont mal comprises du public profane. Le CIRC n’estime que la dangerosité théorique virtuelle (en anglais « hazard« ) des substances, et non le risque concret qui en découle (« risk »). La différence entre ces deux notions peut être illustrée par l’exemple du lion: ce fauve est incontestablement un animal dangereux, mais pour le visiteur qui vient l’admirer dans un zoo sans pouvoir l’approcher, il ne constitue qu’un risque infime. Il en va différemment du randonneur qui tombe nez-à-nez avec un lion dans la savane; on peut alors affirmer qu’il court un risque énorme. La différence de risque entre les deux situations tient donc à la réalité tangible de la menace. Dès lors, les classements de dangerosité établis par le CIRC ne doivent pas être lus comme des recommandations directes, voire des motifs d’interdiction, mais considérés seulement comme un élément d’appréciation permettant aux autorités de déterminer sur une base sérieuse si le danger théorique correspond en pratique à un risque réel. Cette évaluation des autorités, qui fait d’ailleurs partie de la procédure d’autorisation et qui est régulièrement actualisée pour les produits phytosanitaires, vise à déterminer si et dans quelle mesure les consommateurs courent un risque effectif. Elle tient compte notamment de l’étendue dans le temps et dans l’espace des expériences faites avec les substances étudiées.
Avec de nombreux aliments, tout comme avec les produits chimiques et phytosanitaires, il est évident que l’excès peut avoir des conséquences néfastes et qu’il doit, par conséquent, être évité. Par des mesures simples – une alimentation équilibrée et variée pour les aliments, un usage raisonnable dans le respect des règles d’application pour les produits chimiques et phytosanitaires -, il est possible de contenir le risque dans des limites acceptables. Malheureusement, on pratique souvent deux poids deux mesures à l’égard de ces catégories: si les risques virtuels ne rencontrent le plus souvent qu’indifférence dans le domaine alimentaire, ils provoquent des demandes d’interdiction quand il s’agit de produits phytosanitaires. Ce n’est pas logique.
Plus d’informations sous:
- IARC Monographs evaluate consumption of red meat and processed meat , communiqué CIRC du 26.10.2015
- Position de l’OFAG concernant la reclassification du glyphosate comme substance cancérigène par le CIRC, Office fédéral de l’agriculture, 30.07.2015
- Les dangers, les risques, Office fédéral de la santé publique OFSP, août 2015
- Fragen und Antworten zur gesundheitlichen Bewertung von Glyphosat, Bundesinstitut für Risikobewertung (D), 28.08.2015